Passés rapidement dans le débat public, les résultats du programme PISA regorgent d’enseignement sur notre système scolaire. Lors de la dernière conférence Terrains Innovants, Eric Charbonnier, analyste à l’OCDE, et Clémence Lobut, chercheuse, expliquent les mauvais résultats des élèves français. Indiscipline dans les classes, manque d’attractivité du métier d’enseignant et faiblesse de la formation continue sont pointés du doigt. « Il faut donner du temps, évaluer et corriger et ne pas revenir en arrière à chaque fois ».
Eric Charbonnier, analyste à la direction de l’éducation de l’OCDE, ne va pas par quatre chemins pour dresser l’état des lieux des résultats français. « Il y a eu une forte communication autour des études PISA cette année, qui s’est accompagnée tout de suite d’annonces du ministre dans la foulée». Sur les pays qui ont participé au test, « la performance en mathématique a baissé de 15 points par rapport à 2018 et de 10 points pour la compréhension de l’écrit. 15 points correspondent à ¾ d’une année scolaire. Dans ce contexte, la France a encore plus baissé que la plupart des pays européens ». Une baisse de 21 pts en maths et 19 en compréhension de l’écrit pour les élèves français de 15 ans. « Entre 2018 et 2022, on a une baisse générale du niveau des élèves ». Des élites aux plus faibles, tous les niveaux sont concernés.
Du bruit pendant les cours
Les explications sont multiples. « Le covid est un accélérateur mais n’explique pas tout. Il n’y a pas de corrélation entre le nombre de jours de fermeture d’école et le déclin en maths ». La principale explication réside autour de l’attractivité du métier enseignant. « Davantage de chefs d’établissement signalent un manque d’enseignants. Il y a aussi un problème de discipline : un élève français sur 2 se dit dérangé par du bruit ou du désordre en classe en France ». Avec ce climat scolaire dégradé, une implication parentale moindre est aussi notée.
« Certains pays s’en sont mieux sortis dans cette enquête et n’ont pas le même déclin comme en France et en Allemagne », relève Eric Charbonnier. « La Suisse, l’Estonie, l’Autriche, le Japon et la Corée du sud ont moins chuté. Ce sont des pays où les élèves qui se sentent soutenus quand ils ont des difficultés ». L’expert souligne que la France fait partie des pays avec un taux d’inégalité très fort. Pour Clémence Lobut, cheffe de projet recherche à J-PAL Europe, l’explication de la baisse en France vient surtout du « sentiment de dévalorisation des enseignants ».
Le manque d’attractivité du métier
Eric Charbonnier note que « les enseignants français se sentent peu valorisés par la société. La formation initiale n’est pas assez axée sur le volet pédagogique du métier ». Pour la formation continue, l’exemple de Singapour (bien placé à PISA) chiffre à une centaine d’heure par professeur et par an en formation. « Les enseignants là-bas peuvent développer leurs compétences tout au long de leur carrière. Globalement, les pays d’Asie n’ont pas le problème de l’attractivité des enseignants. A Singapour, il y a par-contre un souci sur le bien-être des élèves ».
L’analyste remarque que « les enseignants français demandent des formations sur la gestion de classe, sur la pédagogie différenciée et sur les compétences numériques. Il y a des problèmes de mobilité et de salaire au métier d’enseignant. Le sujet d’attractivité du métier d’enseignant est un sujet international, même Allemagne est impactée ».
Parmi les résultats de PISA, Eric Charbonnier remarque que « les élèves français ont plus de mal sur les questions ouvertes, quand il s’agit de sortir du programme scolaire et faire appel à la créativité ». A ce titre, un prochain volet de PISA dévoilera les résultats des lycéens testés aussi sur leur pensée créative.
« Il faut évaluer les reformes »
Un autre aspect est soulevé durant la conférence. Les classes françaises sont très hétérogènes et très chargées par rapport à la moyenne européenne. En Asie, il y a 40 élèves par classe et cela se passe bien. Le nombre d’élèves par classe est un facteur parmi d’autres. », note Eric Charbonnier. L’étude Pisa a 20 ans. En 2003, la France faisait partie des bons élèves en maths, puis il y a eu une chute de 2003 à 2012 puis une stabilisation de 2012 à 2018 et de nouveau une rechute ».
Les experts pointent aussi les changements politiques permanents. « Il y a un temps politique différent du temps scolaire et de la recherche », indique Clémence Lobut. L’exemple du dispositif devoirs faits est pris en exemple. « Ce dispositif n’est pas utilisé aussi efficacement qu’il ne devrait l’être au collège », remarque Eric Charbonnier. « Il faut évaluer les reformes, notamment l’aide aux devoirs. La mise en œuvre des réformes n’est pas notre grande force en France. La multiplication des réformes décourage les acteurs. Il faut donner du temps, évaluer, corriger et ne pas revenir en arrière à chaque fois ».
La prochaine conférence des Terrains Innovants aura lieu à Londres en direct du BETT le mercredi 23 janvier à 17h.
Julien Cabioch