Mercredi 8 mars, le Café pédagogique – en partenariat avec Evidence B – vous proposait une conférence des Terrains Innovants. Journée des droits des femmes et semaine des mathématiques, une association d’évènements qui ont déterminé l’objet de cette troisième conférence. André Knops, chercheur au CNRS a évoqué les « clés de la réussite en mathématiques », Véronique Chauveau de l’association Femmes et Mathématiques, a proposé différentes explications sur le non-choix des mathématiques par les filles.
L’importance des intuitions proto-mathématiques
André Knops, chercheur au CNRS au laboratoire du Lapsydé (Laboratoire de Psychologie
du Développement et de l’Éducation de l’Enfant ) à Paris, a développé un exposé sur la recherche « Nombre et espace ». Quels sont les facteurs qui prédisent la réussite en mathématiques ? « On peut les classifier en deux types : les facteurs spécifiques aux maths comme les intuitions ou la maîtrise du système décimal », a indiqué le chercheur. « D’autres facteurs comme l’inhibition ou les capacités spatiales jouent sur la réussite en maths ».
Le chercheur en psychologie du développement et de neurosciences a expliqué que « les intuitions proto-mathématiques sont visibles dès quelques jours après la naissance». D’après lui, les bébés peuvent distinguer des cercles avec plus ou moins de taches noires. « Les enfants dyscalculiques sont retardés dans le développement de cette capacité. Ceux qui ont une plus forte capacité à distinguer des points dans un nuages avec précision sont ceux qui réussissent le mieux en mathématiques ».
Le chercheur a aussi insisté sur l’importance de se représenter le système décimal dans la tête. « Dans notre tête, la représentation qui fait le sens d’un nombre se fait dans l’espace ». Il parle « d’un effet de distance ». André Knops explique aussi que la comparaison des nombres se complique lorsque les dizaines « ne sont pas dans le même sens ». Enfin, selon lui, « la compréhension de l’ordinalité est corrélée au niveau de mathématiques ».
Un bouquet d’activité à effet positif
A partir de ces connaissances et en reprenant le langage de la recherche, le chercheur expose « le bouquet d’activité » mis en place avec Evidence B pour « entrainer des intuitions proto-mathématiques » et pour « entrainer les enfants à inhiber les dimensions non-pertinentes ». Des taches en ligne sont aussi créés autour de la connaissance des nombres. « Au fur et à mesure de l’exercice, les informations numériques deviennent de plus en plus abstraites ». La Start-up proposera aux élèves de seconde une base d’exercices en mathématiques en octobre 2023. 24 modules avec des milliers d’exercices sont promis. « L’application ne remplace pas l’enseignement mais apporte un appui pour construire une représentation spatiale et renforcer les facteurs qui sous-tendent les compétences mathématiques », conclut André Knops. Une spectatrice de la visioconférence demande si le travail d’entrainement en ligne sur un nuage de points à un effet bénéfique sur la compréhension des maths. Réponse du chercheur : « Oui ! Ces exercices ont un effet positif sur la construction des compétences symboliques ».(…) « Concevoir les maths comme est don est désastreux et destructif ».
Des écarts de genre observés dès la fin du CP
L’intervention de Véronique Chauveau, ancienne professeure de mathématiques, débute par le résultat d’une étude de septembre 2022 de l’INED (institut national d’études démographiques) qui indique qu’à partir de 6 ans, les filles deviennent moins douées en mathématiques que les garçons. « Comment réagit une fille quand elle lit cette information ? Je trouve que ce chiffre est une fatalité qui tombe sur les filles. Cette étude permet d’écarter l’origine innée de cette différence qui se créer au cours de l’année de CE1. Donc cela se passe à l’école. (…) C’est la société tout entière qui est responsable. Je ne veux pas mettre les professeurs des écoles à l’index, on trimbale tous une quantité phénoménale de stéréotypes que l’on ne laisse pas au porte-manteau de la classe ».
Après avoir rappelé que les filles représentent seulement un tiers des candidats prenant la spécialité maths, Véronique Chauveau indique que « la tendance se poursuit ensuite sur le marché du travail ». Les choix stéréotypés sont dénoncés par la présidente d’honneur de l’association Femmes et Mathématiques, « Ce n’est pas une histoire de cerveau mais une histoire de représentation ! ».
Pour elle, il y a trois explications qui expliquent le peu de filles dans le supérieur axé maths et informatiques. Tout d’abord, l’influence des stéréotypes sociaux de sexe est une des principales raisons. « Mais cela dépend aussi du pays et de l’époque. Par le passé, Flaubert disait sur une femme qui étudiait le grec : c’est tellement peu une femme qu’elle en a de la barbe ! ». Autre exemple donné : « en Malaisie, l’informatique est désigné comme un métier propre et où l’on peut rester à la maison et élever les enfants ».
Une autre explication vient du manque de modèles auxquels s’identifier. Enfin, la méconnaissance des métiers auxquels conduisent les études à forte composante mathématique et informatique est la troisième raison évoquée. « Pourtant, les sociétés sont convaincues aujourd’hui qu’une équipe mixte est beaucoup plus innovante quand l’équipe est mixte ».
Parmi les questions des spectateurs, une porte sur la compétition dans le calcul mental « qui plait davantage aux garçons. Que faire alors ? ». Véronique Chauveau répond « qu’il faut faire des maths de plusieurs manières différentes pour que tout le monde y trouve son compte », en évoquant par exemple la place de l’histoire des maths ou des exemples concrets variés.
Enfin, la place des interactions entre les profs et les élèves est soulevée. « On a plus toujours tendance à mettre comme appréciation scolaire à un garçon qui ne travaille pas assez qu’il en a sous le pied et quand il se décidera il fera mieux. Une fille qui n’a pas de très bon résultat, on dit qu’elle est laborieuse…Des phrases peuvent déconstruire les stéréotypes. Il y a des choses simples à faire », conclut Véronique Chauveau.
Julien Cabioch