Les résultats de l’enquête PISA 2023, ont souligné une forte baisse sur la performance des élèves en mathématiques, mettant aussi en lumière l’importance des inégalités sociales dans ces résultats. Comment faire face à cette situation ? Lors de la table ronde des Terrains Innovants « La recherche pour aider les élèves en mathématiques », plusieurs chercheurs et chercheuses ont tenté d’expliquer le phénomène – pas seulement français – et ont proposé des pistes pour l’endiguer.
Emmanuel Sander, professeur à la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Éducation de l’Université de Genève et membre du Conseil de l’Éducation Nationale, et sa collaboratrice, Constance Jourdan se sont attardé sur la façon dont les concepts scolaires sont abordés par les élèves en fonction de leurs connaissances extra-scolaire. « Les connaissances construites en dehors du cadre scolaire vont faciliter certains apprentissages mathématiques, d’autres les rendre beaucoup plus difficiles » a expliqué Emmanuel Sander. « Si on propose aux élèves des situations qui sont en phase avec leur réalité quotidienne, on se retrouvera avec des élèves très performants, mais qui n’apprennent rien. À l’inverse, si on leur propose des choses trop éloignées de leurs connaissances propres, on va avoir des difficultés d’appropriation profondes. Le nœud est donc d’arriver à avoir une progressivité des apprentissages qui permette de concilier leurs premières intuitions, de les dépasser et de réussir à construire de nouvelles intuitions plus en phase avec les concepts mathématiques ». Selon le chercheur, l’objectif est donc d’amener les élèves à faire le lien avec ce qu’ils savent déjà pour aller vers des concepts plus académiques, des concepts mathématiques. « Ils apprennent à manipuler les notions en partant de leurs conceptions intuitives ». « L’école est d’autant plus importante pour les élèves les plus en difficulté qui ont besoin d’être les plus accompagnés » a ajouté Constance Jourdan.
L’automatisation des calculs, un facteur d’inégalités
Catherine Thévenot est professeure de Psychologie du Développement Cognitif à l’Université de Lausanne en Suisse. Elle travaille notamment sur l’automatisation des processus de calcul. « Chez les élèves, l’automatisation des calculs revêt deux aspects : la mémorisation des informations ou l’automatisation des procédures de calculs » a-t-elle expliqué. « Contrairement à ce que l’on pensait il y a encore peu, l’apprentissage des multiplications et des additions ne requiert pas les mêmes processus. La multiplication nécessite de mémoriser. C’est un processus couteux pour les élèves, surtout pour les élèves de milieux défavorisés ». Selon la chercheuse, pour apprendre à faire des multiplications, il faut lutter contre des interférences – « c’est un réseau interférent, avec beaucoup de chiffres qui se retrouvent, se croisent… ». « Le but est que les élèves arrivent à automatiser cette récupération », a poursuivi Catherine Thévenot. « Le seul moyen d’y arriver, c’est la pratique intensive même si ça parait rébarbatif. Les élèves de milieu populaire ont une mémoire cognitive plus limitée, cela explique qu’ils rencontrent plus d’interférences et ont plus de mal à apprendre leurs tables de multiplication ». Les inégalités au niveau du calcul sont aussi liées aux pratiques familiales informelles : utilisation des comptines, jeux de société… « C’est l’un des médiateurs le plus important entre compétences mathématiques et milieu socio-éducatif ». Pour l’addition, les processus sont différents, explique la chercheuse. « Notre laboratoire a montré que même chez l’adulte très expert, les aires cérébrales actives ne sont pas les mêmes que pour la multiplication. Pour l’addition, on mobilise les aires motrices et d’attention. Compter sur les doigts est donc une procédure importante pour les enfants, cela permet d’automatiser. Quand on est adulte, on s’en souvient intuitivement. C’est comme conduire, l’automatisation est une sorte d’acte intuitif… ». Les très jeunes élèves qui comptent sur les doigts font preuve de compétences cognitives très importantes – contrairement aux idées reçues. « Manipuler, compter sur les doigts doit être commencé très tôt, cela augmente les capacités cognitives ».
Des gestes professionnels basés sur la métacognition
Grégoire Borst, professeur de psychologie du développement et de neurosciences cognitives de l’éducation à l’Université Paris Cité et directeur du Laboratoire de Psychologie du Développement et de l’éducation de l’enfant (LaPsyDÉ – CNRS), a quant à lui présenté les résultats d’une étude en cours dans des écoles Rep et Rep+ de Marseille. « On s’est beaucoup intéressés à la résolution de problème. On a montré que les difficultés des élèves étaient en partie liées à des stratégies hautement automatisées – dès qu’ils entendent plus, ils ont tendance à faire des additions. À partir de ce processus exécutif qu’on a décelé, on a essayé de voir ce qui peut être pertinent pour faire progresser les élèves. Nous étions face à deux stratégies : décomposer le problème en plusieurs étapes dont la reformulation ou de dire explicitement aux élèves de dire qu’ils sont face à un piège ». Les résultats de l’étude montrent que les élèves qui qui progressent le plus sont ceux qui sont dans une approche métacognitive – ou grâce à leur enseignant les élèves prennent conscience des stratégies qu’ils utilisent. « Nous avons aussi étudié, dans un panel de 3 000 élèves de maternelle, l’impact des compétences exécutives – de type inhibition. Dès l’entrée en maternelle, les données nous ont montré qu’il y a des inégalités du fait du milieu social d’origine et que l’ensemble de ces inégalités est expliqué par des inégalités de fonctions exécutives – ressources cognitives, mémoire à court terme… ». Pour le chercheur, c’est là-dessus que les professeurs doivent se concentrer. « C’est dans ce cadre que nous menons une étude expérimentale dans les écoles Rep et Rep+ où l’on forme les enseignants et enseignantes à utiliser des gestes professionnels autour de la métacognition dans le cadre de l’apprentissage des contenus numériques en maternelle. Notre étude vérifie aussi que les gestes évoluent – avec des observations in situ dans les classes ». Les premiers résultats sont plutôt encourageants affirme Grégoire Borst – tout particulièrement parce que les enseignants et enseignantes utilisent très peu de pratiques métacognitives en petite section et moyenne section. « C’est donc un levier d’amélioration intéressant ».
Marie Amalric, chercheuse à l’Université de Trento en Italie, étudie l’impact de l’apprentissage des mathématiques sur le cerveau humain. « J’essaie de comprendre comment l’apprentissage d’un nouveau concept mathématique vient s’inscrire dans le fonctionnement du cerveau, comment il le modifie pas à pas et en quoi les inégalités et difficultés d’apprentissage vont impacter ces différences fonctionnelles » explique la chercheuse. « Tout cela bien entendu, pour essayer d’y remédier ». Son étude se base sur de l’imagerie cérébrale. La chercheuse s’attache à étudier spécifiquement les concepts qui posent massivement problème : les fractions et la commutativité. « À terme, je souhaite comparer les effets de différents types d’intervention. Prenons l’exemple de la commutativité qui bénéficie de beaucoup d’approches, les comparer permettrait de cibler la plus efficace ».
Lilia Ben Hamouda