L’IA va-t-elle progressivement remplacer les enseignants ? Comment faire réfléchir les élèves avec Chat GPT ? La 5ème conférence des terrains innovants organisée par le Café pédagogique et Evidence B a balayé les possibles de l’IA en éducation. L’importance d’éduquer à l’esprit critique mais aussi de former les enseignants aux nouvelles technologies font consensus parmi les intervenants. Apprendre à rédiger des requêtes ressort également comme compétence nouvelle à acquérir.
L’intelligence du perroquet
« Personne ne sait exactement comment ChatGPT fonctionne même ceux qui l’ont fabriqué », commence Daniel Andler, professeur émérite de philosophie de Sorbonne Université qui dresse un panorama historique de l’évolution de l’intelligence artificielle. « L’intelligence artificielle est née il y a 67 ans même si l’’idée était dans l’air bien avant. (…) Les modèles actuels sont constitués de nombreuses couches de neurones qui apprennent à travers des exemples. La fonction est donc essentiellement perceptive ». « Est-ce qu’il y a continuité entre la première intelligence artificielle dite symbolique et le deep learning d’aujourd’hui ? », s’interroge le fondateur du département d’étude cognitives de l’ENS. « Il y a un vrai changement mais aussi une continuité. L’ordre du jour de l’IA reste de construire des machines qui exigent de l’intelligence de la part de l’être humain. Aujourd’hui, le deep-learning semble atteindre ses limites ». En comparant les livres et l’IA, Daniel Andler rassure. « Les logiciels d’IA d’aujourd’hui possèdent des connaissances humaines. Quand ils veulent résoudre un problème, l’IA cherchent parmi des résolutions déjà trouvées par les humains ». Pour lui, les systèmes d’aujourd’hui sont loin de la pensée humaine. « Le perroquet ne comprend pas ce qu’il dit, les machines ne savent pas de quoi elles parlent ! », lance le philosophe-mathématicien qui décrit plutôt un « système artificiel intelligent ».
Place de l’IA dans l’éducation
Bénédicte Robert, rectrice de l’académie de Poitiers, pointe pour sa part « l’enjeu de représentation de l’IA en éducation. Il faut s’interroger sur comment l’IA contribue à l’apprentissage ? ». La rectrice cite plusieurs fois la lettre de Bill Gates sur l’IA. « Les logiciels pilotés par l’IA connaîtront vos centres d’intérêt et votre style d’apprentissage afin d’adapter le contenu à vos besoins. L’IA mesurera votre compréhension, remarquera lorsque vous vous désintéressez et comprendra à quel type de motivation vous répondez. Elle vous donnera un retour d’information immédiat », écrit le milliardaire. La rectrice reste optimiste sur l’IA avec un avantage pour la différenciation pédagogique, la prise en compte de handicap ou encore la diminution du nombre de copies à corriger…
« L’éducation est avant tout un acte humain qui se noue. La réussite des élèves et liées à la qualité de la relation humaine entre l’élève et l’enseignant ». Ouf ! « La politique publique doit être anticipée avec un travail sur la représentation des enseignants sur ces questions et de leur professionnalisation », indique Bénédicte Robert qui soulève aussi la question des inégalités. « Si les systèmes d’IA d’aide aux devoirs sont payants et présents dans les boites à bac privées, ce sera au détriment des lycées publics », prévient-elle. Catherine de Vulpillières, co-fondatrice d’Evidence-B, explique les bienfaits des logiciels proposés par sa start-up qui ne sont pas là pour « spoiler le travail des professeurs ». Tableau de bord de suivi et exercices en ligne seront proposés dès la rentrée prochaine. « L’IA va augmenter l’expertise du professeur. C’est aussi une aide aux élèves pour mieux comprendre et cela de façon personnalisée. L’humain a toujours utilisé des techniques pour l’aider ou aller plus vite. Mais il va se passer un peu de temps avant qu’une IA corrige des dissertations », remarque l’entrepreneuse.
Des idées pour utiliser Chat GPT en classe
Pour Françoise Cahen, professeure de lettres au lycée, il y a 3 façons de réagir face à ces intelligences en ligne. « Soit l’on fait comme si cela n’existait pas, soit l’on dit que c’est mal ou alors on relève de la ruse et du détournement en exploitant l’IA ». L’enseignante explique son jeu nommé « cherchez l’erreur » et proposé à ses élèves. L’idée est de repérer les erreurs du célèbre logiciel en ligne. « Ça nous a permis de parler du fonctionnement de ChatGPT en classe ». Un travail d’amélioration est aussi proposé en classe. Par exemple, les propositions de l’IA sur La Bruyère ont été enrichi par ses élèves. Avec une IA qui s’améliore jour après jour, « l’année prochain, nous ne pourrons peut-être pas faire cette activité », reconnaît l’enseignante qui a aussi comparé les copies des élèves et celles fournies par Chat GPT. « Il y a de bonnes pistes proposées par le logiciel. Nous avons aussi travaillé sur la rédaction de requêtes avec Dall-E pour créer des illustrations en lien avec La Bruyère ». « Ces formes de compétences comme l’écriture des prompts va se développer ». Un prompt est une phrase qui sert de point de départ à la rédaction d’un contenu par une IA. « Ce n’est pas si ludique que cela ! ».
Bénédicte Robert souligne que « la notion d’esprit critique est essentielle. Les jeunes sont nourris par les réseaux sociaux. Il y a un problème de reconnaissance des sources fiables. Beaucoup de jeunes pensent que la fiabilité est liée au nombre de followers… ». Citant le logiciel Midjourney qui permet de créer des images réalistes, Bénédicte Robert indique que la fabrication de fausses images pose un problème pour la démocratique. « Il y a un énorme agenda en termes d’accès à l’épistémologie, à l’EMI et à l’esprit critique ». Pour conclure, Evelyne Rogue, professeure de philosophie, évoque comment elle a proposé à ses élèves de la remplacer par Sofia, un robot humanoïde. « Est-ce que vous serez contents d’avoir Sofia à ma place ? », demande l’enseignante à ses lycéens. « La réponse a été 100% de non pour mes deux classes. On veut notre prof ! ». Evelyne Rogue voit comme une illusion le remplacement progressif des enseignants annoncé par certains. « J’ai testé l’IA plutôt comme un assistant pédagogique. Il faut cependant apprendre à poser une requête à la machine ». Avec les nouveaux programmes d’enseignement scientifique de terminale, les lycéens devront savoir « analyser des documents relatifs à une application de l’intelligence artificielle » ou encore étudier « la création de contenus par des modèles génératifs ».
Julien Cabioch
NB/ Cet article n’a pas été écrit par une IA.